LE LIVRE

lundi 30 décembre 2013

Combien de voies va tu sacrifier?

 

Il arrive parfois qu’on se sente profondément concerné en lisant un livre, un article ou un post. Concerné par l’impression que l’auteur a choisi les mots justes pour traduire ce qui ressemblait à une brume dans le cerveau. C’est ce que j’ai ressenti en lisant un post de Ryan Holiday sur son blog : “How Dropping Out Of College Can Save Your Life”. La citation au début de l’article est bien choisi :

“One has to kill a few of one’s natural selves to let the rest grow — a very painful slaughter of innocents.” – Henry Sidwick.

Et l’introduction annonce la couleur :

You, the ambitious young person, how many of your natural selves have you identified yet? How many of them are suffocating? Are you prepared for the collateral damage that’s going to come along with letting the best version of you out?

En clair, combien de chemins a-tu sacrifiés pour avancer dans le chemin où tu es actuellement? combien de voies ont été sacrifiées pour suivre la voie actuelle? L’ambition multiplie les voies mais le choix oblige à être sélectif.

Because the future belongs to those who have the guts to pull the trigger.

Et oui! le futur appartient à ceux qui “tuent” une partie d’eux car nos ambitions font partie de nous, elles nous animent, nous poussent à l’action.

D’ailleurs, l’auteur affirme avoir quitté les études alors qu’il était brillant, quitter son poste de Directeur marketing dans une grande entreprise…et actuellement, il est auteur à succès et à l’abri du besoin, ayant plus de temps libre. Je préfère passer sur les détails que tout le monde peut lire dans le post.

En quoi ce post me concerne? Je dois commencer par dire que ce post traduit la prise de risques : on est amené parfois à prendre des risques pour avancer. Bien sûr, c’est toujours une décision difficile. C’est comme les dessins animés qu’on voyait tout jeune où le personnage principal, étant dans une pyramide à la recherche d’un trésor, ouvre une porte où se trouvent des scorpions, la referme et ouvre une autre porte croyant trouver le fameux trésor mais y trouve des cobras. Jusqu’à ce qu’il trouve à la fin le trésor.

Cette image traduit la prise de risques : en fermant une porte, on ne sait pas ce qui nous attend derrière la prochaine porte. Cela peut être plus pire. Certains préfèrent rester devant la première porte de scorpions, d’autres essayent deux, voire trois portes mais s’arrêtent, fatigués des sueurs froides et des épreuves difficiles traversées. Et pour finir, certains ne baissent pas les bras et finissent par trouver le trésor.

Dans la société camerounaise actuelle, la prise de risques n’a pas sa place. La voie est classique : étudier – trouver un emploi – fonder une famille. Il est clair que les conditions économiques actuelles entrainent une dérivation par rapport à cette voie mais il n’empêche qu’elle reste toujours un idéal dans l’imaginaire collectif. Cette voie n’empêche pas de prendre des risques mais un élément important est oublié dans l’analyse : des pseudo-gendarmes sont postés à chaque étape de cette voie.

Quand on étudie, il y a les parents qui vous empêchent de prendre le risque de quitter vos études. Bien sûr qu’il y a d’autres gendarmes comme les amis, les enseignants, ou le prêtre si vous êtes chrétien par exemple. Mais ceux là, vous pouvez les fuir ou les éviter, pas vos parents. C’est pour cela que je m’en tiens aux gendarmes principaux. D’ailleurs, pour ceux qui connaissent l’histoire personnelle des joueurs actuels de l’équipe nationale, beaucoup ont dû affronter les reproches de leurs parents, voire être exclus du domicile familial pour non respect des consignes. Et aujourd’hui, ils sont adulés et bénis par les mêmes parents.

Quand trouve un emploi, le système de solidarité à l’africaine vous empêche de prendre des risques : vous soutenez vos parents, frères et sœurs, oncles, tantes, neveux, cousins,..etc. Rempart contre le désespoir, comment quitter l’emploi actuel alors que tout le monde compte sur vous. C’est vrai qu’on peut trouver des motifs de condamnation de cette pratique au niveau individuel car il empêche l’accumulation nécessaire pour avoir la masse critique qui permet de soutenir sans s’étouffer. Mais collectivement, elle nous épargne de beaucoup de maux sociaux : moins de SDF, de suicides, de morts de faim,…. qu’on peut trouver comparativement dans un pays avec un taux de chômage élevé, une distribution très inégale des richesses, une classe moyenne en voie de disparition et une déficience d’infrastructure.

Une fois la famille fondée, le modèle de famille à l’africaine est difficilement conciliable avec la prise de risques. C’est un scandale une fois marié à une femme de ne pas faire d’enfant l’année qui suit vos noces. Et encore, il faudra en faire au moins quatre à cinq pour être doté des attributs de vrai homme. Avec cinq bouches à nourrir, la votre et celle de votre femme, prendre des risques peut tourner à une descente pure et simple aux enfers. J’ajoute la femme car dans le marché de l’emploi actuel au Cameroun, les femmes décrochent moins d’emploi que d’hommes et même quand elles décrochent, le salaire n’est pas le plus souvent équivalent à compétence égale.

Pour revenir au thème principal de ce billet, qu’ai je sacrifié pour la voie actuelle :

- J’ai arrêté mes études de DEA, ce qui est actuellement nommé Master Recherche II dans le système LMD,

- J’ai quitté mon emploi d’auditeur dans un établissement de microfinance,

- J’ai quitté mon emploi de responsable logistique dans une entreprise de location automobile, emploi garanti pour intégrer une équipe projet pour le même poste, certes plus rémunéré que le précédent mais défini suivant le projet (6 à 7 mois).

Et après ce poste, je compte redorer la casquette d’auteur ou de responsable logistique dans une autre entreprise, casquettes que je vais sacrifier. Alors certains me diront qu’on ne sacrifie pas pour sacrifier : quel est le trésor visé? C’est simple : je sens en moi l’âme d’un entrepreneur, pas d’un gestionnaire. Et je suis ces voies de sacrifices pour me donner plus de moyens de l’atteindre. Rappelez-vous la citation de début d’Henri Sidwick :

“One has to kill a few of one’s natural selves to let the rest grow — a very painful slaughter of innocents.”  

“Let the rest grow” : Pour que ma passion d’entrepreneur se réalise, je dois passer par ces sacrifices. Cela m’a été plus facile et m’est plus facile par le concours actuel de circonstances qui fait que j’ai moins de contraintes de la part des gendarmes cités plus haut.

Pour terminer, je dois apporter certaines précisions :

- Pour prendre des risques, il faut savoir où on va et ce qu’on veut vraiment : ça doit brûler de l’intérieur. Sinon, les épreuves difficiles qui ne manquent pas peuvent amener le découragement. Et pousser à l’abîme. A chacun de voir ce qui peut être associé au terme ‘abîme”.

- Il est plus intelligent de se doter d’un matelas de sécurité avant de prendre des risques : une bonne épargne pour couvrir les besoins essentiels pendant une période déterminée. La réflexion et l’action me semblent plus productives quand on est à l’abri de besoins essentiels comme manger, dormir ou se vêtir.

- Les fameux gendarmes (parents, solidarité, famille) n’ont pas toujours une dimension contraignante ou négative, parfois ils nous motivent, disciplinent ou nous offrent des possibilités, élargissent nos horizons : les parents peuvent nous discipliner si nous confondons la paresse intellectuelle avec la volonté de quitter les études, la solidarité ou la famille peuvent nous motiver à chercher plus, voire à élargir nos horizons. En chassant pour soi, on se contente de la pintade ou du hérisson qui traverse la clairière, en chassant pour soi et les autres, on va plus loin et on trouve des biches et de grosses antilopes. De même, la solidarité n’est pas toujours à un seul sens : ceux que nous soutenons financièrement nous soutiennent aussi, moralement ou spirituellement…

A méditer avant de quitter son prochain job.

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